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Mustang, la route du sel

par | 29 janvier 2011 | 4 commentaires

Il est tôt. L'air est sec et le froid se fait plus perçant qu'aux premiers jours. Le soleil est encore loin de chauffer les gorges profondes de la rivière Kali Gandaki.

Il est tôt. L’air est sec et le froid se fait plus perçant qu’aux premiers jours. Le soleil est encore loin de chauffer les gorges profondes de la rivière Kali Gandaki.

À Tatopani, ce matin du 27 novembre, nous savons qu’une grosse journée s’annonce, avec une bonne cinquantaine de kilomètres de piste, beaucoup de montée, et de poussière soulevée par les bus et camions qui bravent tous les dangers d’une piste de montagne en perpétuelle reconstruction.

Aujourd’hui nous avons rendez-vous avec le Mustang, ancien royaume tibétain, gardé par des colosses géants couronnés de neige et de glace, dont les noms seuls évoquent le respect : Dhaulagiri (« la Montagne blanche » 8172 m) et Annapurna (« la déesse des récoltes » 8078 m).

Désormais les choses sérieuses commencent !

État des troupes

Tiens, parlons-en des troupes ! Pour Astérisme, ça commence mal justement. Son estomac s’est fâché avec les excès exotiques des premiers jours, et il s’est vidé toute la nuit durant ! Notre guide non plus n’est pas au mieux. Tangi traine encore une otite mal soignée. Tout comme Banana, fiévreuse, qui a beaucoup toussé avec la poussière de la veille, et qui sait qu’elle a déjà bien entamé ses modestes réserves…

Pour ce qui est du benjamin (Flo) et du doyen (Bourriquet) du groupe, tout va pour le mieux, c’est déjà ça !

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La route du sel

Que reste-t-il de la route du sel ? Il y a moins d’une décennie, Tangi nous racontait que la piste ouverte à coup d’explosifs et de bulldozer par l’armée Népalaise dans les gorges de la Kali Gandaki n’existait pas encore, et que seule la véritable « route », chemin pédestre ancestral, parfois dallé de magnifique pierres de lauze, parfois aérien et dangereusement exposé, faisait office de voie de communication principale entre les vallées de Pokhara,  Katmandou et l’Inde au sud, et le Tibet voisin au nord, empruntant au passage des cols à plus de 4000m d’altitude.

A cette époque encore très proche, la vie se déroulait comme plusieurs  siècles en arrière. Les habitants vivaient essentiellement du troc avec les Tibétains qui échangeaient le fameux sel de grande qualité contre épices et céréales. Ce sel, issus de lacs d’altitude asséchés, eux-même originaires des temps très anciens où la mer recouvrait encore les terres, élevées depuis à des hauteurs inégalées sous la pression du continent indien à la dérive. Les fossiles marins que l’on trouve à de hautes altitudes en sont les témoins.

Depuis, le trafic a évidemment décuplé, et le mode de vie des habitants du Mustang s’en est trouvé  dramatiquement bouleversé. Les Chinois, désormais occupants du Tibet, organisent « leur » façon de commercer au détriment des Népalais, culturellement nettement moins préparés à ce type d’échanges. Et l’ancien « Royaume de Lo », préservé depuis des siècles des invasions et des influences extérieures (il était fermé aux étrangers jusqu’en 1991) de par ses remparts naturels et sa géographie est désormais subitement à la merci des pressions peu enviables de la mondialisation.

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La route de tous les dangers

Les gorges de la Kali Gandaki sont qualifiées de « plus profondes du monde »… Tu m’étonnes. Avec le nombre de sommets prestigieux qui l’entourent !

En attendant, nous restons lorsque c’est possible — et surtout assez roulant — sur l’ancienne route, également empruntée par les trekkeurs du Tour des Annapurnas. Mais l’essentiel de la progression se fait sur cette fameuse piste, que l’on peine à imaginer à bord d’un bus.

Non seulement celle-ci est défoncée, mais elle subit aussi continuellement l’érosion de ces gorges, avec des éboulements ou glissements de terrain fréquents, des passages évidemment non protégés au-dessus du vide, et un trafic permanent qui va du troupeau de chèvres au camion surchargé à la stabilité précaire, en passant par les motos et les porteurs en tong.

Aucun vélo par contre, exceptés les quelques rares voyageurs solitaires ou vététistes occidentaux emmenés par les agences spécialisées, essentiellement sur les grands circuits.

Aux alentours de midi, on retrouve Laxman et tous ses courageux compagnons de bus devant le traditionnel dal bhat. Pour les Népalais, ce repas est presque un rituel, et il faudrait des circonstances graves pour devoir s’en passer, ou même simplement manger autre chose ! Un coup d’oeil à nos sacs poussiéreux entassés sur le toit, s’ils pouvaient raconter ce qu’ils voient (et une pensée émue pour mon netbook emballé précieusement au milieu des vêtements) !

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L’entrée en Mustang

N’étant pas soumis à ces rythmes culinaires culturels, nous continuons notre lente remontée des gorges dont les paysages et les anecdotes de route et de traversées de village nous font presque oublier la difficulté de l’effort.

En ce qui concerne les paysages, on comprend mieux que quiconque à cet instant l’intérêt des voyages à vélo : la progression se fait à un rythme suffisamment rapide pour ne pas souffrir de l’ennui et de la lassitude, mais suffisamment lent pour profiter au maximum du spectacle et de l’ambiance. Et à partir de Lete et Kalapani, lorsque la vallée s’évase à nouveau, la hauteur et la blancheur des plus hauts sommets devient terriblement imposante. Paradoxalement, alors que l’on est déjà haut, on a le sentiment d’être de plus en plus bas !

La végétation se raréfie aussi. Non pas qu’il fasse tellement plus froid, mais surtout parce que nous nous éloignons de la zone de mousson sub-tropicale. Ici il pleut rarement, et la terre bien que fertile, est aride et ne produit que grâce aux ingénieux systèmes d’irrigation en place.

À Ghasa, nous empruntons l’ancienne route pour passer devant le Tourist Check Point et en retirer notre permis de trek au Mustang. Ces formalités sont gérées par Tangi et prises très au sérieux. Les 2000 roupies par personne récoltées par l’ACA servent en principe à préserver à la fois la culture, et l’environnement, tous deux fragilisés par l’afflux — brutal à l’échelle du temps — du tourisme du trek. Et les postes militaires de campagne les contrôlent à l’occasion.

Permis de trek au Mustang

Chaque arrêt pour boire un Coca ou se rassasier d’une noodle soup est une histoire. La plupart des villageois le long du parcours ont une table, des chaises, et des collations à disposition. Ces temps de pause sont l’occasion de créer un petit lien, et celui-ci passe toujours par les enfants, curieux et sans réserve aucune.

La maitrise, même superficielle, du Népali par Tangi permet parfois d’aller un peu plus loin dans l’échange. Sa connaissance de la culture locale aide aussi beaucoup. Sans parler du fait qu’il côtoie régulièrement les propriétaires des lodges où nous séjournons,  c’est un vrai plus qui nous permet parfois de nous affranchir du temps d’approche.

Les visages changent aussi comme les paysages. Nous passons du type indo-népalais originaire du sud, au peuples tibéto-népalais d’origine Mongoloïde en provenance du du nord, et de culture tibétaine et bouddhiste. Bien que n’étant pas le plus important, le peuple Sherpa est le plus connu d’entre eux, tant ils se sont adaptés à l’expansion de l’industrie touristique (trekking, alpinisme, hôtellerie).

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Marpha, ou j’irai revoir ma Normandie

Le soleil a déjà quitté la vallée depuis une bonne heure lorsque nous touchons enfin la ville de Marpha, but final de cette longue journée. Inutile de préciser que nous sommes bien entamés, et que l’idée d’une douche et d’un repas chauds, associés à une bonne nuit de sommeil occupent l’essentiel de notre esprit.

Marpha, ville tibétaine par excellence par ses habitants, le peuple Thakali, son architecture et ses temples, et accessoirement capitale Népalaise de la pomme ! Ici le fruit des dieux est utilisé à toutes les sauces, en gâteaux, en accompagnements, en fruits secs, et surtout en brandy, capable de faire concurrence aux meilleurs calvados (testé et approuvé !).

Excepté pour Astérisme, encore en souffrance avec son estomac, le repas sera copieux, et le brasero installé sous la grande table à la nappe de laine épaisse et couvrante jusqu’au plancher, plus qu’apprécié.

Clip Népalais kitchissime tourné à Marpha

Prochain épisode : Première descente en altitude avant Kagbeni